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La relation Vietnam-Philippines et les enjeux en mer de Chine méridionale

[Interview RFI 1er septembre 2023]

1/ Le 10 août, lors des entretiens d’adieu avec l’ambassadeur vietnamien sortant Hoang Huy Chung à Manille, le président Marcos Jr espérait signer un accord avec le Vietnam pour renforcer la coopération maritime en Mer de Chine méridionale. Leur objectif final est de s’unir pour faire face à un adversaire plus fort, la Chine. Pourriez-vous nous expliquer d’abord ce que se disputent le Vietnam et les Philippines en Mer de Chine méridionale ? Quels sont les différends entre ces deux pays avec des tiers en Mer de Chine méridionale ?

Il faut d’abord savoir de quoi on parle lorsque l’on évoque l’archipel des Spratleys (Truong Sa).

Il s’agit d’un ensemble de petites îles et de récifs a priori impropres à la vie humaine autonome.

Six pays revendiquent tout ou partie de l’archipel : le Vietnam, la République populaire de Chine, Taïwan, les Philippines, le sultanat de Brunei et la Malaisie.

Pour assoir leurs revendications plusieurs tous occupent militairement une ou plusieurs îles à l’exception de Brunei.

La revendication maximaliste de la République populaire de Chine à travers la ligne en neuf traits la place en rivalité avec l’ensemble des cinq autres acteurs.

C’est aussi le cas du Vietnam qui revendique l’ensemble de l’archipel de même que Taïwan.

Les trois autres pays ont des revendications globalement limitées à leurs zones économiques exclusives.

En ce qui concerne plus précisément le Vietnam et les Philippines, ils sont donc en concurrence pour le contrôle des îles Spratleys mais pas à la même échelle.

Le Vietnam, on l’a dit, a une position maximaliste et revendique l’ensemble des îles composant l’archipel des Spratleys.

La revendication vietnamienne apparaît tant dans les cartes officielles ou non produites dans le pays qu’à travers les déclarations régulières des responsables politiques.

Les Philippines quant à elles revendiquent seulement les îles situées dans leur zone économique exclusive. Cet état de fait génère une superposition de facto des ambitions de Hanoi et de Manille et cette revendication croisée génère forcément une rivalité entre les deux pays.

2/ Comment la décision du Tribunal de La Haye s’applique-t-elle aux revendications de souveraineté du Vietnam ?

Pour comprendre en quoi la décision de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye concerne le Vietnam, il faut rappeler que Hanoi fonde sa revendication sur les Paracels et les Spratleys sur des arguments essentiellement historiques, notamment une connaissance ancienne de leur existence de l’archipel en raison sa fréquentation par les pêcheurs vietnamiens. Mais si le Vietnam peut prouver une mise sous administration directe des îles Paracels par l’empereur Gia Long en 1816, confirmée en 1833 sous l’empereur Minh Mạng, la démonstration est moins aisée en ce qui concerne ce qui est des Spratleys. Il faut rappeler ici que la France les déclarera terra nullius en septembre 1930 quand elle en prendra possession.

Il faut aussi ici rappeler les deux points principaux de la décision de la cour le 12 juillet 2016 :

  • L’extinction des droits historiques

Le Tribunal a en effet estimé que, dans la mesure où la Chine avait des droits historiques sur des ressources dans les eaux de la mer de Chine méridionale, ces droits avaient été éteints étant donné qu’ils étaient incompatibles avec les zones économiques exclusives prévues par la Convention. En conséquence, la cour a explicitement invalidé juridiquement la ligne en neuf traits.

  • La non reconnaissance du statut d’îles aux rochers émergés

L’article 121 de la convention des Nations unies pour le droit de la mer (convention de Montego Bay) stipule que « les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau continental ».

En s’appuyant sur cet article, la cour d’arbitrage a précisé que « les éléments qui sont découverts à marée haute génèrent un droit à une mer territoriale d’au moins 12 milles marins, contrairement aux éléments recouverts à marée haute ». Par conséquent, un récif autrefois immergé dans son état naturel, ne pouvait devenir un rocher et encore moins une île au regard du droit international, même si Pékin l’avait fait émerger de l’eau en le poldérisant. Seul état d’origine peut compter en droit. Donc du point de vue de la cour, les constructions artificielles construites par Pékin en mer ne lui offrent pas de ZEE de 200 milles marins, et encore moins de « plateau continental », autour de ces îles.

Par voie de conséquence, la cour a explicitement indiqué qu’aucune île des Spratleys « n’est capable de générer une zone maritime étendue ».

En conclusion, seules priment aux yeux du droit international les zones d’exclusivité générées par les côtes des Etats (donc les zones économiques exclusives), et non pas celles générées par les îles et les récifs qu’ils affirment administrer.

L’arrêt de la cour permanente d’arbitrage pose quelques problèmes au Vietnam :

  • Au niveau des ZEE

Contrairement à la Chine, le Vietnam ne conteste pas la compétence de la cour permanente d’arbitrage de La Haye en ce qui concerne la mer de Chine méridionale. Il reconnait la validité des ZEE et revendique lui-même le contrôle de sa propre ZEE. Sur ce point, on peut rappeler que Hanoi s’insurge avec énergie contre toute action de prospection de navires chinoises ayant lieu dans sa ZEE comme ce fut le cas, par exemple, avec la flotte chinoise Haiyang 8 en juillet 2019.

De ce fait, il apparaît difficile pour le Vietnam de contester aux Philippines leur contrôle sur leur ZEE alors même que le Vietnam réclame ce droit pour lui-même.

  • Au niveau des îles

Dans l’hypothèse où un règlement interviendrait permettant au Vietnam de disposer de sa souveraineté sur des îles des Spratleys, l’arrêt de la cour stipule d’ores et déjà que celle-ci ne donneront jamais lieu à une zone économique exclusive ce qui limitera forcément

Les capacités du Vietnam à en tirer profit

  • Au niveau de la revendication globale sur les Spratleys

L’argumentation vietnamienne étant fondée sur une base similaire à celle de la Chine, il est vraisemblable que si Hanoi saisissait la cour permanente d’arbitrage, celle-ci ne statuerait pas en sa faveur. Ceci amène Vietnam à une impasse juridique. Si Hanoi souhaite maintenir sa revendication et la faire valider au regard du droit international, le Vietnam n’aura pas d’autre choix que de revoir son argumentation pour y introduire de nouveaux éléments qui soient acceptables juridiquement au regard de cette jurisprudence.

3/ Le Vietnam revendique toujours la souveraineté sur l’ensemble des îles Spratly et Paracels. Le Vietnam est-il prêt à « faire des concessions » aux Philippines en s’appliquant la décision du tribunal de La Haye ?

 Autant la revendication du Vietnam sur les îles Paracels semble nécessiter une négociation directe avec la Chine dans un contexte actuel d’un rapport de force défavorable au Vietnam,

Autant celle sur les Spratleys est plus complexe :

  • Difficulté d’établir un lien historique évident
  • Multiplicité des acteurs concernés
  • Distance géographique inégale des côtés entre les Etats riverains qui ne favorise pas forcément les revendications des Etats les plus éloignés

Si l’on s’en tient au cadre juridique que nous avons évoqué, on voit mal comment le Vietnam pourrait faire l’impasse sur une négociation avec les Philippines. Si de telles discussions voyaient le jour, il est très vraisemblable qu’elles aboutiraient à un partage des zones de souveraineté.

Le Vietnam peut en effet difficilement contester la validité des revendications philippines sur les îles situées dans sa zone économique exclusive sauf à se mettre en contravention avec le droit international auquel il se réfère lui-même, nous l’avons dit, pour sa propre ZEE.

Il faut ajouter à ceci un important argument d’ordre géopolitique. En effet, on constate depuis quelques années que les tensions s’accroissent de manière régulière au niveau de Taïwan. Les Etats-Unis renforcent leur appui à l’île de même qu’ils ont récemment renforcé leurs accords militaires avec Manille qui met dorénavant neuf bases militaires à disposition de l’armée américaine.

Face à cela, la Chine multiplie les efforts pour renforcer ses propres capacités militaires et menace régulièrement Taïwan d’une intervention armée.

Cette situation tendue pourrait aboutir à un conflit.

Or, en cas de conflit ouvert, si rien ne laisse penser que la mer de Chine méridionale serait impactée de manière directe, il est quasi certain que les Philippines seraient en revanche directement concernées.

Si ce conflit avait pour conséquence un affaiblissement de la Chine, les Philippines pourraient alors tirer les dividendes de leur implication aux côtés des Etats-Unis, dividendes qui se traduiraient par un appui diplomatique de Washington aux revendications de Manille.

Ceci interviendrait même si la position officielle des Etats-Unis est de ne pas prendre parti au sujet de la question de la souveraineté des archipels. On voit donc l’intérêt d’un accord antérieur entre les Philippines et le Vietnam car sinon, la position du Vietnam pourrait se voir fragilisée de même que ses intérêts.

4/ Le Vietnam et la Chine, deux pays dotés de systèmes politiques similaires, se sont mis d’accord sur le golfe du Tonkin et sa frontière terrestre. Un tel accord ne sera pas mis au secret comme précédemment par que les Philippines possèdent un autre système. Quelle serait la mesure pour convaincre les vietnamiens alors que les autorités vietnamiennes revendiquent toujours sa souveraineté totale sur les deux archipels ?

Il me semble difficile, effectivement, compte des contextes socio-politiques très différents entre les deux pays, d’imaginer garder un tel accord secret.

Je crois que si un tel accord intervenait, il faudrait que les autorités vietnamiennes usent de pédagogie auprès de leur population en insistant sur le fait qu’une répartition des zones de souveraineté ne porterait pas préjudice aux intérêts économiques et stratégiques du pays et générerait des avantages qu’une situation de blocage ne permettrait pas.

Par ailleurs, rien n’interdit d’imaginer qu’à un accord formel de répartition de souveraineté puisse s’ajouter des conventions permettant un usage commun de certaines ressources. Si les relations entre Hanoi et Manille sont confiantes et au beau fixe, ce serait de l’ordre du possible et ça permettrait à l’opinion publique vietnamienne de mieux comprendre l’intérêt d’une telle négociation. Cela étant, il s’agit d’un retournement fondamental dans le narratif actuel qui, me semble-t-il, nécessite une volonté politique claire et une longue préparation en amont car il faudra quelques années pour habituer l’opinion publique vietnamienne à apprécier différemment la question des Spratleys et ses enjeux. Ceci pourrait être facilité par le fait que la position vietnamienne sur les Paracels demeurerait inchangée.

5/ Ces derniers temps, les Philippines ont intensifié leur coopération militaire et leurs exercices avec les États-Unis, le Japon et l’Australie en Mer Orientale. Cet événement est considéré comme une démonstration de force au harcèlement et aux revendications de la Chine. Cependant, ces événements ont également un impact sur le Vietnam qui fait partie du conflit de souveraineté dans la région ?

Effectivement, ces événements ont un impact évident.

Les Etats-Unis cherchent depuis quelques années à rassembler les pays de la région ayant en commun une opposition aux visées maritimes de Pékin au sein d’une architecture de sécurité dirigée par Washington.

Or Hanoi, pour le moment, reste réticent à entrer dans un tel mécanisme. On peut penser que la prochaine visite de Joe Biden au Vietnam a pour objectif de convaincre les autorités vietnamiennes de se rapprocher de la vision américaine.

Il est tout à fait pertinent sur le plan géopolitique, de se demander si, en effet, Hanoi n’aurait pas intérêt à se rapprocher des Etats-Unis dans l’hypothèse d’un conflit à venir.

Cela dit, le pari d’un rapprochement stratégique américano-vietnamien est évidemment risqué pour Hanoi et deux options sont possibles :

Dans un premier cas de figure : la Chine sort du conflit en position de force

  • Dans cette hypothèse, si le Vietnam s’est engagé trop ouvertement aux côtés de Washington, il risque d’en payer le prix, notamment sur le plan économique, en raison des liens très importants qui unissent le Vietnam et la Chine.

Dans un deuxième cas de figure : la Chine sort du conflit en position de faiblesse

  • Dans ce cas, le Vietnam, pourrait tirer les dividendes du conflit notamment au niveau des Paracels. En ce qui concerne les Spratleys, on ne voit pas comment Hanoi pourrait ne pas devoir négocier avec Manille mais cette négociation serait plus équilibrée et les Etats-Unis apparaîtraient davantage comme arbitre que comme soutien à Manille.

Il y a donc une évaluation du ratio coût/bénéfice à faire par Hanoi quant à l’engagement aux côtés de Washington.

Cela étant, quel que soit le cas de figure, il me semble que la politique de prudence et de distanciation suivie actuellement par Hanoi, si elle a bien évidemment du sens dans le contexte actuel, pourrait s’avérer contre-productive en cas d’éclatement d’un conflit et de réajustement majeur des équilibres géopolitiques régionaux.

Ce qui semble à peu près certain aujourd’hui, compte tenu d’une part de la position très intransigeante de Pékin sur la mer de Chine méridionale et d’autre part de la stratégie américaine d’endiguement de la RPC, c’est que le Vietnam n’a vraisemblablement aucune chance de récupérer la souveraineté sur les Paracels par la négociation avec son voisin et qu’il se trouvera de toute façon en position de faiblesse face aux Philippines.

Donc, dans la mesure où ces questions sont considérées comme un enjeu important par Hanoi, un réajustement des axes de la diplomatie vietnamienne semble indispensable pour faire avancer les positions du pays et ses revendications.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurent Gédéon (22 novembre 2023). La relation Vietnam-Philippines et les enjeux en mer de Chine méridionale. Geopole. Consulté le 14 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/p04y


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