La baie de Cam Ranh : brève rétrospective historique

Localisée dans la partie sud de la côte vietnamienne, à proximité des routes maritimes internationales, la baie de Cam Ranh a vu son importance croître tout au long du 20e siècle, au fil des crises géopolitiques que connaissait la région.
Des caractéristiques géographiques particulièrement favorables
La baie, qui se situe non loin de la ville de Nha Trang (à environ 290 km au nord-est de Ho Chi Minh-Ville), présente des caractéristiques qui lui confèrent une importance géostratégiques majeure. D’une superficie de 100 km², large de 6 km et longue de 15 km, elle possède une profondeur moyenne de l’ordre de 16 à 20 m. Une passe extérieure (nommée “La Grande Passe” à l’époque coloniale) en autorise l’accès depuis la mer et donne sur un passage plus étroit (“Le Goulet”) permettant d’entrer dans la baie proprement dite. A ces conditions géographiques exceptionnelles s’ajoutent la quasi équidistance de Cam Ranh avec les grandes villes portuaires de la région, notamment Hong Kong, Manille et Singapour, et l’accès direct aux eaux profondes en raison de l’étroitesse du plateau continental à ce niveau du littoral vietnamien.
Consciente de ces particularités, la marine française a rapidement considéré l’emplacement comme un site maritime stratégique à l’instar des autres ports à usage militaire étagés le long des côtes vietnamiennes, Haïphong (Hải Phòng), Tourane (Đà Nẵng), Nha Trang, Port-Dayot (Vân Phong) ou encore Saigon. Tous seront progressivement aménagés au cours de la première moitié du 20e siècle.
La création de la base navale
Si Cam Ranh n’a réellement été transformée en base militaire que vers les années 1930, son utilité sur le plan naval était reconnue dès le début du siècle comme en témoigne, par exemple, l’autorisation accordée à une quarantaine de bâtiments de la flotte russe de la Baltique d’y faire escale en 1904. Le passage de cette escadre intervint dans le cadre de la guerre russo-japonaise qui opposait l’Empire russe à l’Empire du Japon du 8 février 1904 au 5 septembre 1905, conflit qui se solda par une défaite russe.
A partir de 1930, la Marine nationale entreprit un vaste programme de modernisation de la flotte d’Extrême-Orient ainsi que des infrastructures portuaires. C’est dans ce cadre que fut conçue la nouvelle base navale de Cam Ranh avec pour objectif d’en faire le premier port d’Indochine. Il était prévu d’y édifier trois ensembles d’infrastructures répartis sur les différentes rives de la baie : une partie opérationnelle au sud-est, destinée à accueillir les navires ; un arsenal au sud, comprenant de vastes bassins de radoub ainsi que des ateliers navals ; une base aéronavale à l’ouest, jouxtant le port civil de Ba Ngòi. Le début de la Deuxième guerre mondiale provoqua l’arrêt des travaux en 1940 et seule la première partie du programme fut finalement réalisée.
La base de Cam Ranh au cours de la Deuxième guerre mondiale
Mettant à profit la défaite de la France face à l’Allemagne en juin 1940, le gouvernement japonais fit pression sur le gouverneur de l’Indochine, l’amiral Decoux, afin d’obtenir la fermeture de la frontière avec la Chine, la mise à disposition de bases navales et d’aérodromes ainsi que la liberté de passage pour les troupes nippones à travers le Tonkin. Le 15 septembre, Tokyo émit un ultimatum exigeant la cession des deux bases navales de Haiphong et de Cam Ranh. Cette nouvelle exigence poussa les autorités françaises à négocier un accord, le 22 septembre, règlementant les conditions de débarquement des forces japonaises en Indochine. En dépit de cet arrangement, celles-ci franchirent la frontière à Đồng Đăng et encerclèrent Lạng Sơn. Soumise à un intense bombardement, la ville dut capituler le 25 septembre. Au cours des mois qui suivirent, les japonais accrurent leur présence avant de finalement imposer, le 8 décembre 1941, un accord de défense qui mettait l’ensemble de l’Indochine française sous le contrôle de Tokyo.
Tout au long de la Deuxième guerre mondiale, la baie de Cam Ranh fut utilisée par la marine nippone comme point d’ancrage pour sa flotte et comme base pour ses hydravions. Stratégiquement située, elle fut le point de départ de l’invasion de la Malaisie et des Philippines en 1942. C’est également depuis Cam Ranh que les Japonais organisèrent plus tard différentes contre-attaques afin de freiner la progression des forces américaines en Asie du Sud-Est.
Marquée comme un objectif prioritaire par les stratèges américains, Cam Ranh fit l’objet de plusieurs attaques à partir de 1944. Celles-ci furent menées par la Force opérationnelle 38 (Task Force 38 – TF 38) qui représentait le principal fer de lance de l’US Navy dans la région. Parmi les actions les plus marquantes, on peut citer le bombardement de la base du 17 décembre 1944, celui d’un convoi naval japonais le 23 février 1945, ainsi que les opérations de minage de la baie des 26 janvier et 28 mars de la même année. Cette stratégie conduisit à l’abandon de la base et des positions avoisinantes par les troupes japonaises.
Revenue dans le giron de l’armée française à la suite de la défaite du Japon, Cam Ranh fut utilisé tout au long de la guerre d’Indochine par la Marine nationale, essentiellement comme espace de mouillage pour les unités navales. A la suite des accords de Genève en 1954, elle servit de point d’évacuation pour les troupes françaises jusqu’à l’achèvement du processus en 1956.
La guerre du Vietnam
Cam Ranh reprit de l’importance avec le début de la guerre du Vietnam. Le 19 juillet 1964, le dragueur de mines USS Epping Forest (LSD-4) y fut envoyé afin de procéder à la neutralisation des mines encore présentes et pour mettre à jour les cartes hydrographiques de la baie ainsi que celles des installations militaires existantes. Une nouvelle piste fut alors construite qui permit d’accueillir à partir du 12 novembre 1965 la 12e escadre de chasse tactique (12th Tactical Fighter Wing – 12th TFW). Celle-ci resta attachée à la base aérienne de Cam Ranh jusqu’en mars 1971. Ses principales missions consistaient en des activités de soutien rapproché et de patrouilles aériennes au-dessus du Vietnam et du Laos. Outre la 12th TFW, Cam Ranh abritait diverses unités navales, des avions, des contingents militaires ainsi que des infrastructures hospitalières relevant de l’armée de terre et des forces aériennes. Au plus fort du conflit, on y comptait près de 40 000 militaires et 20 000 civils. A partir de 1972, la gestion de la base fut transférée à l’armée sud-vietnamienne dans le cadre de la “vietnamisation” du conflit décidée par Richard Nixon. Elle tomba finalement entre les mains des troupes nord-vietnamiennes lors de l’offensive d’avril 1975.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurent Gédéon (30 juin 2023). La baie de Cam Ranh : brève rétrospective historique. Geopole. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/p04w
